De centre de coût à centre de profit : comment transformer son service client ?
La relation client a de nouveau la cote dans les entreprises car grâce à la data, elle peut prouver son ROI… s’il existe ! Mayday, première solution de knowledge empowerment pour les services clients, a créé cette table ronde pour vous aider à comprendre ce que c’est un service client ROIste et découvrir les leviers pour engager cette transformation.
Pour partager leur expérience :
- Vanina Poirier, manager de transition en relation client, passée chez Inwi, opérateur marocain, et O2, services d’aide à la personne ;
- Jonathan Da Costa, cofondateur de HumanCall, qui a monté le service client de Deliveroo France ;
- Cédric Blum, Head of Customer Service France, Doctolib, auparavant chez Webhlep.
Voici la retranscription de cette table ronde, datant du jeudi 13 juin 2024.
Que signifie pour chacun de vous centre de profit ?
Jonathan
Il est essentiel de considérer le service client comme ROIste, et ce, avec 2 niveaux de profondeur :
- Court terme : facilement mesurable par des indicateurs comme le taux de réachat, ou le rattrapage proactif de churn. Malheureusement, peu d’entreprises sont capables aujourd'hui de déterminer l'augmentation d'un panier moyen ou d'un réachat après un échange avec le service client. Il faut pour cela un système de données croisées entre les outils de ticketing et les outils internes.
- Long terme, quand le client et le conseiller passent d’acteur à promoteur : bouche-à-oreille, recommandation, avis...
En résumé, pour un service client ROIste, il n’y a pas forcément besoin d’aller chercher de l’upsell : c’est avant tout un service client qui a une bonne rétention.
L'enjeu pour les nouveaux directeurs de la relation client est de faire changer la mentalité des dirigeants sur le service client et montrer que ce n’est pas un centre de profit palpable sur le court terme.
Vanina
Si on s’en tient à la définition commune, on dira que c’est un pôle qui génère son propre chiffre d’affaires. Alors avant tout, je tiens à dire que le centre de contact est un centre de profit car quelle que soit l’activité, les équipes contribuent à la satisfaction des clients, c'est une façon de les fidéliser.
Je pense que c’est important de le dire par égard à nos conseillers et surtout parce que sans les équipes, le business ne serait pas au rendez-vous.
Mais il est vrai que cette contribution est difficilement palpable pour les Directions Générales. Et donc, quand je parle de centre de profit, je l’associe à des activités pour lesquelles on peut évaluer la contribution des équipes d’un point de vue financier. Par exemple, dans ma dernière expérience, j'ai mis en place des pôles dédiés :
- 1 pôle qui gère les insatisfactions de niveau 2
- 1 pôle rétention
- 1 pôle dédié à l'activité déménagement (30% de rétention sur le déménagement)
On a mis en place l’upsell: le conseiller propose systématiquement le report d'une annulation de la prestation par le client.
En appel sortant nous rappelions des prospects pour lesquels nous n'avions pas pu signer de contrats car il n'y avait pas d'agences dans leur ville. Pour une autre marque, pour la partie B2B, on a travaillé sur le réengagement avec des appels sortants.
Cédric
Chez Doctolib, c’est différent. Dans le SaaS, nous avons assez peu de produits et de services donc compliqué de faire de l’upsell.
Alors avant de parler de centre de profit, je préfère la notion de centre de coût maîtrisé.
Le centre de profit, c’est pour moi l’étape ultime quand une équipe qui fait du support augmente la valeur perçue du service que tu offres. Et cette valeur est difficilement mesurable.
Enjeu de réactivité dans un centre classique vs proactivité dans un centre de profit donc. Ce qui souligne le rôle prépondérant que joue la data dans cette transformation ! Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vanina
La proactivité nécessite un alignement des parties prenantes. Être clair sur les objectifs et être capable de prendre des décisions tous ensemble. La data est un élément essentiel car elle réconcilie toutes les parties prenantes.
Dans mes 2 précédentes entreprises, nous avions segmenté le parc client, ce qui nous a permis de mettre en place de nouvelles organisations.
Pour l'une, nous avons segmenté le parc selon la valeur du client. Cette segmentation nous a permis de revoir les objectifs d’accessibilité au service selon les segments : nous avons constaté que les flux étaient de plus en plus infimes la nuit. Nous avons stoppé les horaires d’ouverture pour les clients dits “mass market” ce qui a permis d’optimiser les coûts et d'augmenter l’objectif de QoS pour les clients gold. La data nous a permis de mettre en lumière les axes d’optimisation sans dégrader la qualité et en même temps d’apporter plus de valeur sur le segment gold.
Pour une autre marque, nous avons travaillé sur le parcours client et notamment sur la période des 6 premiers mois. Nous avons revu le process de mise à disposition du produit ; ce qui nous a valu d'améliorer notre taux de satisfaction sur cette étape du parcours avec un taux de résiliation en baisse.
Jonathan
Je parle souvent de health score, qui consiste à mesurer l’engagement du client pour anticiper certains comportements. L’entreprise peut ainsi écouter et agir avant même d’obtenir une réponse de CSAT.
Par exemple, chez Wavy, système de caisse enregistreuse pour les salons de coiffure, si le client ne s’est pas connecté depuis 3 jours ou n’a pas encaissé depuis 7 jours, on met en place un plan d’actions.
Malheureusement, peu d’outils permettent une mesure fine car les organisations ont des systèmes d’information très personnalisés. Et sans data scientist, impossible à mettre en place !
Wavy étant une plateforme SaaS, la donnée y est collectée à chaque étape. On peut donc facilement mesurer l’impact d’une action sur le churn ou l’upsell.
Le health score peut être construit en 1 semaine sur une simple Google Sheet. Le plus complexe, reste la collecte de la donnée.
Cédric
Pour mener la transformation d’un service client vers un centre de profit (ou à valeur ajoutée), il faut avoir les bonnes bases, essentiellement les outils et la data. Une fois que vous avez ça, c’est beaucoup plus simple d’aller voir le COMEX car votre histoire est tout écrite.
Au-delà de la data, il faut un bon data analyst car l’IA ne fait pas encore tout pour vous. Mais le rattachement de ce profil va dépendre de la maturité du service client.
Chez Doctolib, j’avais un data analyst rattaché au service client, qui dépendait parfois de l’équipe data pour certaines actions, et se trouvait bloqué ou dépriorisé.
Désormais, nous avons simplement des crédits mensuels pour de la ressource de l’équipe data. L’IA a aussi un rôle à jouer pour traiter cette data !
Quelles sont pour vous les grandes étapes à suivre pour attaquer cette transformation ?
Vanina
Ce serait trop facile si l’on pouvait suivre systématiquement les étapes les unes après les autres. Mais la réalité est toute autre.
Les marques sont souvent impatientes car le contexte l’exige. Optimiser les coûts est souvent le maître mot de nos dirigeants. Parce que l’optimisation des coûts frustre souvent les collaborateurs qui se sentent dépossédés, non considérés et qui souvent pensent même que l’entreprise ne considère pas le client, je prends le parti de fonctionner en simultanée.
Dernièrement, la transformation s’est faite sous l’angle de 3 piliers : organisation, méthode, outils.
Je suis arrivée en pleine saison, et j’ai découvert un service client mutualisé avec des horaires fixes. Quand je dis "mutualisé" cela signifie que tous les conseillers géraient à la fois du commercial et du service client. Il n’y avait pas d’expertise mais beaucoup de stress et surtout une qualité de service qui n’était pas à la hauteur des attentes des clients, de l’entreprise et des TCs. J’ai donc commencé par siloter pour privilégier l’expertise. J’ai travaillé durant 7 mois sur le modèle de prévision et de panification qui n’existait pas pour ensuite mener un chantier compliqué relatif à la planification et dans le même temps j’ai commencé à confier des missions aux conseillers : rédaction des process, ingénierie de formation. J’ai arrêté des appels sortants inutiles qui impactaient le budget et j’ai lancé le projet d’acquisition d’une plateforme omnicanale. J’ai fait beaucoup de promotion interne en créant des postes de pilotes de flux, formatrices, chargée de planification… Tout en recrutant des experts : formateurs, qualiticiens, responsable opérationnel.
Ensuite, nous avons déroulé les chantiers parcours clients, politique clients, signatures de service en co-construction avec les équipes, ce qui a débouché sur un nouveau modèle de suivi de la qualité et donc de primes. La co-construction était un facilitateur.
Cédric
Il faut déjà maîtriser ses basiques avant de monter dans les attentes. Impossible de faire de l’extramile quand la durée de traitement est de 15 minutes ! Donc d’abord, on facilite le travail du conseiller, après, on lui demande de faire l’extramile.
Pour maîtriser les coûts, ce n'est pas facile quand on fait tout. J’ai choisi de tout siloter (spécialistes facturation, API, par produit). Les collaborateurs se sont retrouvés sur des périmètres plus restreints et ça n’a pas convenu à tout le monde, mais c’est le jeu en start-up.
La collaboration avec d’autres équipes a-t-elle un rôle à jouer ?
Jonathan
Elle est indispensable. Le head of care doit désiloter les fonctions et travailler en collaboration avec le marketing et les sales. Des réunions régulières sont nécessaires pour aligner les objectifs et les actions.
Par exemple, le marketing doit annoncer ses nouvelles campagnes, qui peuvent avoir un impact sur le volume des demandes = réunions toutes les semaines.
Par exemple, avec les sales.
- réunions trimestrielles physiques avec le maximum de sales et de care
- travail commun sur les process
- faire comprendre au care pourquoi il arrive qu’on vende avec de la “casse”
Une des meilleures solutions reste d’avoir un référent interne au service client pour chaque discipline (marketing, ops, sales).
Cédric
Nous ne travaillons jamais assez avec les autres équipes, mais nous essayons de développer notre relation avec le produit. Pour cela, il faut s’aligner sur des KPIS d’entreprise. Les KPIS du service client n’auront pas de valeur dans les discussions.
Par exemple, en identifiant une fonctionnalité dysfonctionnelle : on évalue le nombre de contacts qu’elle génère au service client et donc son coût. On peut ainsi arbitrer qu’il faut prioriser l’amélioration de la fonctionnalité, ou recruter des développeurs, ce qui coûterait moins cher que de garder le produit dans l’état.
Aussi, plus l’entreprise grandit, moins le développeur connaît l'entièreté des fonctionnalités. Le service client prend donc de l’importance sur la transmission de la voix du client.
Quelles actions avez-vous dû mener auprès du COMEX ?
Jonathan
J’ai mené un sondage : 55% des Head of CS ne font pas partie des COMEX et des CODIR.
D’où l’importance d’être convaincant à chaque interaction. Or en scale-up, les Head of CS sont rarement formés à ce type de prise de parole.
Ma solution : réfléchir comme un CEO/DG pour se faire écouter, en évitant de présenter un projet avec des émotions et sans parler de ROI. Mettez-vous à la place du CODIR et managez les personnes qui sont au-dessus de vous.
“Il vaut mieux se taire et passer pour un con plutôt que de parler et de ne laisser aucun doute sur le sujet.”
Pierre Desproges
Par exemple, si j’arrive face à aux sales et marketing et leur data sur le revenu, et qu’adopte une vision “problème” : « ah les clients ne sont vraiment pas contents par rapport à ça », ça n’est pas crédible.
Par contre, je suis plus impactant :
- si je présente le top 3 des insatisfactions
- que j’ai calculé le churn lié à ce top 3
- qui représente 128k€ sur le trimestre dernier
- en proposant une solution de recrutement de développeurs qui vont coûter 80k€
- mais qu’on gagne 48k€ au final
À mes débuts chez Deliveroo, la première année, nous étions tellement focalisés sur la croissance que j’oubliais d’amener les projets de façon ROIste.
Résultats ? Certains n’ont jamais vu le jour !
Pour moi, également, il est essentiel de former le DRC à parler ROI, et donc à parler data !
Pour découvrir plus de conseils de la part de Jonathan Da Costa, découvrez son témoignage dans le deuxième volume de Secrets de DRC :
Quelle serait la stack d’outils incontournable pour attaquer cette transition ?
Jonathan
J’adore Zendesk : il n’y a pas le moindre détail qu’on ne peut pas avoir. Au départ, on peut opter pour une solution plus light mais à un certain stade, les data scientists vont être bloqués. C’est souvent une demande du CEO au départ d’ailleurs, qui ne connaît pas le métier et notamment les indicateurs indispensables de ce métier.
Note sur le WFM (outil de workforce management) : en vérité, au départ, tu peux très bien le faire avec un Google Sheet.
Note sur la base de connaissance :
- essentielle pour des résultats performants avec l’IA
- incontournable pour les nouveaux arrivants
Dans une équipe de 7 personnes, j'avais une personne dédiée uniquement à l’alimentation de la FAQ. D’où l’importance d’apporter un projet sous l’angle du ROI (en évoquant le call deflection, par exemple) pour justifier ce recrutement !
Ressource à consulter : les équipes Ankorstore racontent ici comment elles ont réduit le taux de contact de 10%.
Cédric
Première chose, il faut un outil de gestion des contacts qui permet de mesurer la productivité (temps productifs), qui va permettre de justifier les coûts.
Ensuite, on va adopter des outils qui permettent d’améliorer la productivité.
J’en ai deux incontournables en tête :
- une base de connaissance (comme Mayday) : socle de référence pour challenger tes conseillers, pour qu’ils aillent de plus en plus vite, et n’aient pas besoin d’être des “encyclopédies sur pattes”
- un outil de quality monitoring : surtout quand il y a beaucoup de nouveaux arrivants (quiz, écoute) sur les 6-12 premiers mois
Ressource à consulter : le guide pour bien choisir sa base de connaissance.
Vanina
La base de connaissance est un outil essentiel ! Chez nous, nous avions une agente de procédure en charge de mettre à jour au quotidien la base de connaissance. Ça a changé la vie des agents, qui avaient la garantie d’avoir accès à la bonne réponse, mise à jour quotidiennement. Les agents deviennent plus autonomes, ce qui libère du temps aux managers pour du coaching.
En résumé de cette table ronde, la clé d'une transformation d'un centre de coût à un centre de profit repose sur l'analyse de données et l'alignement organisationnel, avec une approche ROIste pour démontrer la valeur stratégique du service client.
Pour assister à la prochaine table ronde qui aura lieu le 10 octobre 2024 au coeur de Paris, n'attendez plus et inscrivez-vous en cliquant sur ce lien.